Der Untergang ou La ChuteÉ d'une Nation
Toute idŽologie nationale se
construit sur un double postulat : l'existence du peuple comme entitŽ et de son
unitŽ ontologique autour d'un principe fondateur qui varie selon les formations
historiques du subjectif ("le
vouloir vivre ensemble" cher ˆ la France) ˆ l'objectif (la langue pour
l'Allemagne depuis le fameux Discours ˆ
la Nation Allemande de Johann Gottlieb Fichte en 1808). Bien sžr ces
principes sont soumis, dans leur application, ˆ bien des distorsions pour
rŽpondre aux exigences politiques du moment, pour tenir compte des difficiles
Žquilibres[1]É Mais malgrŽ ces arbitraires, une fois constituŽ, le
peuple uni doit pour exister nier toutes les divisions, transcender toutes les
contradictions : les antagonismes ne peuvent tre portŽs que par des
ŽlŽments allognes, par l'Žtranger dont le pire se cache au sein du peuple et
qu'il convient de dŽmasquer. Ce sont les nobles et le haut clergŽ, tous des
immigrŽs de Coblence en puissance, qui n'ont pas compris que la RŽpublique
avait dŽfinitivement aboli les privilges. Ce sont les spŽculateurs financiers
qui ruinent le travail des entrepreneurs nationaux dans la version pŽtainiste.
SpŽculateurs non nationaux car apatrides bien Žvidemment.
En Allemagne, le nationalisme
portŽ ˆ son paroxysme a prŽcipitŽ la Nation allemande dans le gouffre de
l'histoire. Au sortir de la deuxime guerre mondiale, l'Allemagne dŽtruite doit
se reconstruire dans la division car il existe dŽsormais deux Etats allemands.
A l'Ouest, une rŽpublique fŽdŽrale, ˆ l'Est, une rŽpublique dŽmocratique et
socialisteÉ Les deux nouveaux Etats ont en commun d'avoir ˆ Žlaborer une
nouvelle identitŽ collective qui tienne compte d'un passŽ commun mais
monstrueux. La partition Žtant incompatible avec le concept mme de Nation,
chacun des deux Etats dŽniera ˆ l'autre toute lŽgitimitŽ.
Deux mythes antagonistes,
fŽdŽrateurs et forcŽment simplificateurs vont tre forgŽs pour cimenter ces
nouvelles entitŽs nationales tout en les distinguant radicalement. A l'Ouest, un
travail de mŽmoire considŽrable sur la culpabilitŽ est entrepris. Aprs la
catharsis procurŽe par le procs de Nuremberg, l'unitŽ se construit dans une
culpabilitŽ dŽcrŽtŽe collective : tous coupables mais uniquement d'avoir donnŽ
ensemble le pouvoir au monstre. Dans sa na•vetŽ ou son immaturitŽ dŽmocratique
(la RŽpublique de Weimar n'avait pas quinze ans) et dans les souffrances
rŽelles d'une reconstruction chaotique (le dŽsordre insurrectionnel de
lÕimmŽdiat aprs-guerre, "le diktat" de Versailles et la crise de
29), le peuple a ŽtŽ abusŽ par des dŽmons, il en a ŽtŽ la victime[2]. L'idŽe devenue commune qui fait de l'accession
d'Hitler au pouvoir le rŽsultat navrant d'un processus dŽmocratique est
consubstantielle au mythe de la culpabilitŽ collective : c'est le peuple[3] – conformŽment ˆ la fiction fondatrice de la
dŽmocratie - reprŽsentŽ par la majoritŽ qui dit l'intŽrt gŽnŽral, qui a Žlu
Adolf Hitler. Le Joseph Goebbels de Der
Untergang rappelle ˆ plusieurs reprises, comme un idŽologue de la RFA, que
le peuple a choisi son sort et donc qu'il est responsable de son destin
tragique. Le docteur Goebbels tient le mme discours que son ma”tre : Hitler,
toujours dans Der Untergang,
inflexible rejette la demande d'Žvacuation des femmes, enfants, vieillards et
blessŽs car le peuple "habe sein Schicksal
selbst gewŠhlt und hŠtte nichts anderes verdient"[4]. Construction idŽologique qui, non seulement, confre
une lŽgitimitŽ dŽmocratique indue aux nazis mais occulte bien Žvidemment la
complexitŽ du processus qui a conduit Hitler ˆ la Chancellerie : une guerre
civile ouverte ou larvŽe depuis lÕarmistice avec la terreur dans la rue exercŽe
par des groupes paramilitaires, une crise Žconomique sans prŽcŽdent (il reste
encore plus de 6 millions de ch™meurs en 1933), une instabilitŽ parlementaire
endŽmique liŽe ˆ la reprŽsentation proportionnelle qui nÕarrive pas ˆ dŽgager
de majoritŽ stable (8 Žlections entre 1919 et novembre 1932 pour Žlire les
dŽputŽs au reichstag, une quarantaine de partis ont prŽsentŽ des candidats aux Žlections
du 6 novembre 1932 et 19 ont obtenu des siges), le r™le funeste d'un PrŽsident
monarchiste et hostile ˆ la RŽpublique, son choix, aprs trois mois de
tractations et dÕatermoiements[5], comme chancelier du chef du parti majoritaire au
Reichstag certes mais avec seulement 1/3 des suffrages exprimŽs et face ˆ lui
une gauche divisŽe qui n'a pas su s'unir devant le danger[6]É Accession lŽgale au pouvoir certes mais nullement
dŽmocratique et, a fortiori, encore moins, un "rŽgime fanatique portŽ triomphalement au pouvoir"[7].
Cette qualification de
lÕaccession dÕHitler au pouvoir est utilisŽe ˆ des fins discursives multiples
et contradictoires. Les thŽoriciens libŽraux qui se mŽfient de la dŽmocratie ne
manquent jamais dÕexploiter "lÕŽlection"
dÕHitler :
"La dŽmocratie peut mme
constituer une lourde menace pour les droits individuels, comme en atteste, ˆ
titre dÕexemple emblŽmatique, lÕŽlection au suffrage universel du chancelier
Hitler, en 1933."[8]
De mme, toujours sceptiques
par rapport au processus Žlectoral, les anarchistes lÕutilisent aussi comme
effet repoussoir :
"En
janvier 1933, Hitler, aprs avoir remportŽ les Žlections, devient
chancelier."
"Les
camps de concentration furent crŽŽs par les dirigeants du IIIe
Reich, ds leur arrivŽe au pouvoir en 1933 (par le biais des Žlections, ne
lÕoublions pas)É"[9]
Enfin, ceux qui tiennent ˆ la
culpabilitŽ du peuple allemand ne manquent pas Žgalement de le rappeler ˆ la
manire de Jacques Mandelbaum. Ainsi,
rŽpondant aux dŽclarations du Pape ˆ Auschwitz (Cf. la note 2), on peut lire
sous la plume de Jacques Attali :
"Cette
thse, qui exonre ce peuple de sa responsabilitŽ pour en faire une victime du
nazisme, nÕest plus dŽfendue par aucun historien. Tous reconnaissent que
lÕantisŽmitisme est profondŽment inscrit dans lÕhistoire allemande ; que
les Žlecteurs connaissaient les projets dÕextermination de Hitler lorsquÕils
lÕont portŽ dŽmocratiquement au pouvoir ; quÕils ont ensuite trs
massivement approuvŽ les mesures antisŽmites appliquŽes de 1933 ˆ 1938 ;
et que lÕimmense majoritŽ des juifs assassinŽs lÕont ŽtŽ par les armes
individuelles des soldats et des gendarmes allemands, entre 1940 et 1942, et
non par les usines de mort nazies, mises en place ensuite."[10]
Pour autant, cette
culpabilitŽ collective sÕavre au fond multifonctionnelle : elle prŽserve
l'unitŽ nationale en Žvitant de penser les particularitŽs et les segmentations
de la sociŽtŽ allemande et exonre gŽnŽreusement les vŽritables responsables
(Qui a financŽ le NSAPD ? Qui a votŽ pour lui ? Qui a tirŽ profit de la
militarisation de la sociŽtŽ et, ensuite, du pillage de l'Europe ? Quelles sont
les entreprises allemandes ou non[11]
installŽes sur le territoire contr™lŽ par les
nazis qui ont utilisŽ de la main d'Ïuvre forcŽe ?). Dans ce systme explicatif,
la terreur a rendu ensuite toute rŽsistance impossible et seuls les dŽmons
nazis sont les vŽritables auteurs du crime contre l'HumanitŽ. A l'origine de
toutes les monstruositŽs, les organisations spŽcifiquement nazies comme la
Gestapo ou la SS ™tent toute responsabilitŽ aux appareils rŽpressifs
traditionnels (justice, police, armŽe) qui doivent assurer la continuitŽ de
l'Etat aprs 1945 et en particulier ˆ la Wehrmacht. A travers elle, cÕest le
peuple en conscrits qui est gŽnŽreusement amnistiŽ. C'est pour dŽfendre ce
mythe que les dŽserteurs de la Wehrmacht ont rencontrŽ bien du mal pour faire
reconna”tre leur droit et qu'il leur a fallu attendre ces dernires annŽes (il
n'en reste plus beaucoup en vie) pour qu'ils obtiennent enfin la rŽvision de
leur procs et une pension alors que les anciens Waffen SS eux bŽnŽficiaient de
tous leurs droitsÉ Car une fois la dŽnazification achevŽe (et elle le fut trs
rapidement pour permettre la reconstruction et rŽpondre aux exigences
politiques de la guerre froide), il ne restait plus en RFA que des victimes du
nazisme. C'est sur ce mythe que fut construite la prospŽritŽ de la nouvelle
Allemagne. Mythe dŽnoncŽ avec violence par Rainer W. Fassbinder[12]
et toute une gŽnŽration d'intellectuels
Žtouffant dans ce mensonge officiel. Mythe qui constitue Žgalement un ŽlŽment
explicatif du glissement vers le terrorisme d'une partie de ces intellectuels,
glissement qui culminera avec l'assassinat du patron des patrons allemands,
Hans Martin Schleyer. Et c'est toujours pour prŽserver l'unitŽ nationale que
l'ensemble de la classe politique se retrouva, pour des funŽrailles nationales,
unie derrire le cercueil d'un ancien haut responsable SS[13].
A l'Est, le travail de
mŽmoire a ŽtŽ obŽrŽ par une revendication ˆ l'origine mme de l'identitŽ nationale:
la RDA s'est prŽsentŽe, d'emblŽe, comme l'hŽritire de la rŽsistance allemande
au fascisme, en rŽduisant, dans le mme mouvement, cette rŽsistance aux actions
du PC allemand dans la clandestinitŽ. Cette rŽduction abusive confortait le
discours de la RFA sur l'impossibilitŽ pour les vŽritables dŽmocrates de mettre
en Ïuvre une opposition consŽquente ˆ la terreur nazie. La RFA refusait de
prendre en compte la rŽsistance revendiquŽe par la RDA en la stigmatisant comme
totalitaire puisque conduite par les staliniens et, par consŽquent, au service
d'une puissance Žtrangre. L'artifice a bien fonctionnŽ. Cette reprŽsentation
idŽologique a ŽtŽ d'autant plus opŽrante que les deux mythes se rŽpondaient par
un effet miroir et dŽfendaient un point de vue finalement commun : la
rŽsistance allemande Žtant le fait exclusif des communistes, d'une part, les
dŽmocrates ne pouvaient y prendre part et, d'autre part, la RDA pouvait
lŽgitimement s'en prŽvaloir. Ce jeu de miroir n'Žtait en fait que la
dŽclinaison pour la pŽriode d'un systme mis en place aprs 1917 : la
prŽtention des bolcheviques ˆ reprŽsenter exclusivement le mouvement ouvrier
servait ˆ la fois le procs de domination des staliniens, reprŽsentants
exclusifs du "socialisme rŽel",
et le "Monde libre" qui pouvait utiliser l'URSS comme repoussoir et
parfait anti-dote ˆ toutes revendications anticapitalistes (sur le mode "les cocos ˆ Moscou!").
L'histoire s'est soudain
accŽlŽrŽe. MinŽ de l'intŽrieur par ses contradictions, l'empire soviŽtique
n'Žclate pas mais implose en prenant de cours tous les analystes. Novembre
1989, la chute du mur de Berlin prŽcipite la rŽunification de l'Allemagne : la
RFA absorbe la RDA. Depuis, la nouvelle entitŽ politique rencontre des
problmes bien comprŽhensibles de cohŽsion interne. MalgrŽ les milliards de
marks allouŽs ˆ la mise aux normes des nouveaux LŠnder, la rŽunification
idŽologique n'est pas achevŽe, loin s'en faut. Il faut dire que le dŽfi n'Žtait
pas mince : comment cimenter (pour dŽcliner la mŽtaphore chre ˆ Gramsci) un nouvel
Ždifice idŽologique aprs quatre dŽcennies de division? Cette scission peut
difficilement tre ŽvacuŽe comme une parenthse dans l'histoire de la Nation
allemande sauf ˆ nier compltement l'histoire et, par voie de consŽquence, la
rŽalitŽ de la RDA. C'est pourtant cette simplification qui a ŽtŽ tentŽe dans la
mesure o tout le systme idŽologique des communistes s'est effondrŽ avec le
mur. Ce faisant, il n'est pas Žtonnant que bien des Ossis Žprouvent du mal ˆ se
situer dans ce nouvel ensemble.
Les difficultŽs rencontrŽes
en France pour prendre en charge les annŽes noires de l'occupation[14]
permettent de mesurer l'ampleur des dŽfis que la
nouvelle Allemagne doit relever pour construire une identitŽ originale et
l'acuitŽ des questionnements qui taraudent les Allemands dans cette pŽriode de
renaissance d'une Nation. Le succs de Der
Untergang de Oliver Hirschbiegel (des millions de spectateurs dans les
salles en Allemagne) et l'ampleur et la vigueur des dŽbats et des polŽmiques[15]
que le film a provoquŽs montrent ˆ la fois
l'appŽtence pour la pŽriode et ses enjeux historiques et le caractre sensible
de cette entreprise d'Žcriture et d'appropriation collective de l'histoire que
le cinŽma peut tenter d'tre.
Le choix de la fiction pour reprŽsenter les
derniers jours du IIIme Reich pose d'emblŽe un certain nombre de
questions aux spectateurs et, a fortiori,
ˆ l'analyste. La fiction dans Der
Untergang se dŽroule principalement ˆ l'intŽrieur du Bunker. L'extŽrieur
est anonyme. Seul, Peter, le "jeune
hitlŽrien" dŽcorŽ de la croix de fer par le FŸhrer lui-mme qui finit
alitŽ et fiŽvreux mais vivant Žchappe ˆ cette rgle et permet au spectateur
d'entrevoir le "monde d'en haut".
MŽtaphore de l'Allemagne en ces temps de mort du rŽgime nazi : en haut le
peuple exposŽ ˆ la guerre qui souffre mais dans l'anonymat donc dans
l'indiffŽrenciation, en bas, ˆ l'abri des bombes, leurs ma”tres responsables du
destin commun et fatal mais qui ont droit ˆ une existence fictionnelle. Un Metropolis ˆ l'envers en quelque sorteÉ
A l'extŽrieur, les victimes n'existent que dans la mesure o elles ont ŽtŽ
identifiŽes auparavant ˆ l'intŽrieur : le sŽduisant SS-GruppenfŸhrer Hermann
Fegelein et adjoint de Himmler (Thomas Kretschmann), le beau-frre d'Eva Braun,
sert de victime expiatoire ˆ la trahison de son chef et il est abattu dans la
rue aprs avoir remis de l'ordre dans sa tenue et saluŽ son FŸhrer ; le mŽdecin
SS en chef du Reich, le Dr. Ernst-Robert Grawitz (Christian Hoening) qui n'a
pas obtenu d'Hitler la permission de quitter Berlin, prŽfre se suicider avec
toute sa famille rŽunie autour de la table pour un dernier repas (la poupŽe
comme procŽdŽ pour Žvoquer la mort de la petite fille, procŽdŽ repris pour une
fille Goebbels, est tellement usŽ qu'il en devient difficilement supportable
mme pour quelquÕun qui nÕaurait pas lu Franois Truffaut et sa critique de Jeux Interdits). Sinon, les victimes ne
sont que des anonymes sans existence fictionnelle pour lesquelles il est
difficile d'Žprouver de la compassion. De mme ˆ la fin, les vignettes des
diffŽrents protagonistes du rŽcit intŽressent le spectateur alors que les 6
millions de victimes juives[16]
ne
reprŽsentent qu'un chiffre massif mais dŽpourvu d'affect.
La place du tŽmoin (ou en
d'autres termes la question du point de vue qui constitue tout l'enjeu
idŽologique du film) fait que ces victimes anonymes n'existent que parce qu'un
personnage du bunker assiste au sort qui leur est rŽservŽ. Le Dr. Ernst-GŸnter
Schenck pŽntre dans le no man's land pour y chercher des mŽdicaments et dŽcouvre
dans l'h™pital les personnes ‰gŽes abandonnŽes ˆ leur sort (le film ne dit pas
ce qu'il fait pour eux, la fiction les abandonne comme les autoritŽs de
lÕŽpoque) ; en compagnie de son ordonnance, il cherche ˆ s'interposer mais
finalement assiste impuissant ˆ l'exŽcution sommaire de "tra”tres"
dans les rues. La fiction dit sa loi : pour exister, les victimes doivent tre
incarnŽes par un personnage y jouant un r™le. Par ailleurs, l'incapacitŽ d'agir
pour le mŽdecin, mais colonel et SS de surcro”t, montre qu'en ces temps de
folie rien ne peut plus tre entrepris pour arrter la barbarie.
Sur le casting, les options
de la production (des moyens considŽrables et donc la recherche d'un succs le
plus large possible pour amortir les 13,5 millions d'euros du budget)
entra”nent le film dans une logique difficilement compatible, pour ne pas dire
d'emblŽe antagoniste, avec le travail historique. Nous ne sommes pas dans un
docu-drame de la BBC mais bien dans une production qui a fait siens les
standards d'Hollywood ou pire ceux du cinŽma-monde ˆ la Jean-Jacques Annaud ou
ˆ la Luc Besson. Sans faire de procs d'intention, Bernd Eichinger, le
producteur et vŽritable porteur du projet (il est l'auteur du scŽnario), est
considŽrŽ en Allemagne comme le dernier Tycoon du cinŽma allemand dans la
mesure o son nom reste associŽ aux succs de grandes productions commerciales,
un Claude Berri allemand moins la prŽtention artistique en quelque sorte...
Le standard de production
choisi impose le recours obligatoire aux grandes ttes d'affiche du cinŽma
allemand qui se sont pressŽes, du reste, pour faire partie de ce casting
exceptionnel. Ce c™tŽ who is who du
cinŽma d'outre-rhin transforme Der
Untergang en une distrayante galerie de portraits o le spectateur est
appelŽ ˆ reconna”tre ses "stars" prŽfŽrŽes. Par exemple, sous les
traits du terrible ReichsfŸhrer SS Heinrich Himmler (Ulrich Noethen), le Harry
Frommerman des Comedian Harmonists
fait une courte apparition, en guest-star
en quelque sorte, et le spectateur sent une certaine jubilation dans sa
composition du monstre absolu (la coupe de cheveux et les petites lunettes
cerclŽes d'acier). Son complice et ami dans Die
Comedian Harmonists a eu plus de chance dans la distribution des r™les
puisqu'il incarne Albert Speer (Heino Ferch). Quant ˆ Eva Braun, elle est
interprŽtŽe par Juliane Kšhler la maman juive de Nirgendwo in Afrika. Enfin, Ulrich Matthes qui interprte le
docteur Goebbels, est un des plus grands acteurs de thŽ‰tre outre Rhin qui a
dŽjˆ ŽtŽ couronnŽ deux fois comme meilleur acteur de lÕannŽe (1987 et 2005) par
la revue de rŽfŽrence Theater heute.
Alors que dans les films ˆ la
gloire des alliŽs, l'hŽro•sation peut fonctionner parfaitement, dans "les six jours les plus longs" de
l'Allemagne, les hŽros bien qu'en principe interdits vont finir par prendre
corps ; la logique du rŽcit dŽniant celle du discours tenu sur le film par ses
promoteurs et ses laudateurs. D'autant que les rgles de la fiction conduisent
nŽcessairement ˆ diffŽrencier ˆ l'intŽrieur du Bunker les r™les pour construire
un rŽcit attractif. Ds lors, il est normal que le personnage d'Albert Speer,
par exemple, paraisse sympathique. C'est un des rares civils prŽsents dans la
fiction et il mobilise son Žnergie pour essayer d'Žviter le pire : il intervient
en ce sens auprs de Magda Goebbels (Corinna Harfouch) comme d'Eva Braun en
jouant sur sa sŽduction[17]. Conscient de son impuissance, il prend congŽ de son
FŸhrer mais il ose lui avouer, avec courage, sa faute : il a dŽsobŽi ˆ ses
ordres inf‰mes. Enfin, lorsqu'il quitte dŽfinitivement la chancellerie (et le
film), il se retourne pour contempler une dernire fois le monde en ruine qu'il
a contribuŽ ˆ construire : l'Žclairage et le cadrage disent la nostalgie devant
le g‰chis final[18]. Plus tard, lors du gŽnŽrique de fin, lorsqu'une
vignette nous apprend son sort, le spectateur peut considŽrer bien sŽvre sa
condamnation par le Tribunal de Nuremberg ˆ 20 ans d'emprisonnement. Le r™le du
Dr. Ernst-GŸnter Schenck, mŽdecin-colonel SS (Christian Berkel dŽjˆ un des premiers
r™les dans Das Experiment dÕOliver
Hirschbiegel), est encore plus clair : dans la tourmente, il rŽagit en
vŽritable soldat, homme d'action et d'honneur (d'Žvidence, il ne se souvient
plus de la devise inscrite sur son poignard de SS[19]) et en mŽdecin pour affronter la barbarie ˆ plusieurs
reprises avec dŽtermination et courage mais hŽlas en vain.
Poursuivant cette logique ˆ
la fois narrative et idŽologique, la reprise de l'antagonisme entre les
officiers de l'extŽrieur qui combattent et plaident pour la modŽration et le
FŸhrer et ses proches qui sombrent dans une folie trs cinŽmatographique (les
scnes d'orgie !) s'avre fonctionnelle car ce schŽma narratif a ŽtŽ utilisŽ de
nombreuses fois dans les rŽcits hollywoodiens ou allemands se dŽroulant dans l'armŽe
allemande pour opposer des nazis fanatiques et dŽvoyŽs aux officiers de la
Wehrmacht dont la droiture reprŽsente les vertus du peuple allemand (Cf. les
films consacrŽs ˆ Rommel ou ˆ Canaris). Parfaitement intŽriorisŽ par les
spectateurs du monde entier, ce schŽma permet au film de fonctionner en rendant
la fiction facilement intelligible et par consŽquent opŽrationnelle. En effet, dans Der Untergang, le scŽnario n'hŽsite pas ˆ utiliser ce ressort
dramaturgique alors mme qu'il ne reste plus autour et ˆ l'intŽrieur du Bunker
que des SS[20]
et le haut Etat-Major gŽnŽral. Si, dans ces
fictions classiques, l'analyste peut dŽjˆ lŽgitimement douter de la ferveur
dŽmocratique des gŽnŽraux allemands qui ne s'aperoivent qu'ˆ partir de juillet
1944[21]
du caractre odieux du rŽgime qu'ils servent
avec zle depuis tant dÕannŽes, il devient impossible de croire qu'une parcelle
l'humanitŽ puisse subsister dans ce dernier carrŽ de combattants nazis. Visage
d'aigle, dŽtermination, courage, lÕuniforme souillŽ par les combats, le
SS-BrigadefŸhrer Wilhelm Mohnke (AndrŽ Hennicke) incarne un vrai soldat,
presque un juste si les connotations
de ce terme rendaient son utilisation obscne pour un officier supŽrieur SS.
C'est pourtant dans ce type de logique que Der
Untergang entra”ne le spectateur sans autre forme de pudeur ; l'efficacitŽ
du rŽcit passant avant tout. En consŽquence, la condamnation ˆ mort et
lÕexŽcution des officiers gŽnŽraux en chef, Keitel et Jodl, qui n'ont fait
qu'obŽir comme des marionnettes (dans le film) peut mme appara”tre inique ˆ un
spectateur qui ne ma”triserait pas l'histoire de la deuxime guerre mondialeÉ
Combien sont-ils dans ce cas sur les millions de spectateurs qui se pressent
dans les salles du monde entier ?
Les
deux personnages principaux de Der
Untergang d'une part Adolf Hitler et Traudl Junge, la jeune secrŽtaire
d'autre part rŽclament un dŽveloppŽ particulier. Si des acteurs prestigieux
comme Alec Guinness[22] ou
Anthony Hopkins[23] pour les
plus connus ont dŽjˆ personnifiŽ Hitler dans un film de fiction, l'incarnation hallucinante d'Adolf Hitler par Bruno
Ganz fera date. La composition est tellement achevŽe que le spectateur oublie
aisŽment la convention du jeu et annule les interprŽtations prŽcŽdentes ˆ tel
point que la prestation de Bruno Ganz peut donner l'impression qu'elle est la
premire vŽritable personnification du Mal absolu. Sans compter que la plupart
des spectateurs ne sont pas des cinŽphiles et n'ont, par consŽquent, pas de
mŽmoire cinŽmatographiqueÉ Enfin, Der
Untergang est le premier grand film consacrŽ ˆ Hitler aprs la
rŽunification et ˆ sÕinscrire dans cette pŽriode si particulire pour la
conscience nationale allemande.
Ds
l'apparition de Bruno Ganz dans les premires minutes du film, le mimŽtisme est
parfait. L'accent autrichien et ses cŽlbres roulements de "r"
signent la langue du FŸhrer. La gestuelle, les tics et les tremblements de la
main, ses sautes d'humeur qui le font passer de l'abattement complet ˆ la rage
folle disent la dŽcrŽpitude physique et morale. Tout est "vrai"
d'autant que le rŽalisateur ne manque pas de tourner les scnes attendues comme
la dernire bande d'actualitŽ rŽalisŽe lors de la remise de mŽdailles ˆ
l'extŽrieur du Bunker et d'y faire figurer l'opŽrateur filmant la cŽrŽmonie,
mise en abyme convenue : le FŸhrer pince affectueusement la joue du jeune
hitlŽrien comme l'aurait fait l'Empereur pour un vieux grognardÉ Bref, le
FŸhrer est humain et la fiction a, par dŽfinition, la possibilitŽ de le faire
ressentir aux spectateurs. Qu'il y ait eu dŽbat sur ce point qui peut para”tre
secondaire, en Allemagne montre bien ˆ la fois la vigilance sur toutes les
questions portant sur la pŽriode et la "qualitŽ" du film
(l'interprŽtation magistrale de Bruno Ganz, la puissance de la superproduction)
qui font oublier les autres films allemands ayant dŽjˆ reprŽsentŽ Hitler[24]. Le cinŽphile hŽsite entre deux sentiments:
l'admiration pour la prestation formidable d'un acteur admirŽ et le rejet par
rapport au personnage interprŽtŽ et forcŽment ha•. Cette participation affective
contrariŽe pourrait remettre en cause l'Žconomie du rŽcit, son efficacitŽ.
Heureusement pour la force de sŽduction du film, elle peut jouer ˆ plein avec
la narratrice principale, Traudl Junge (Alexandra Maria Lara), la petite
secrŽtaire.
Une
partie du scŽnario a ŽtŽ Žcrite ˆ partir des mŽmoires de Fraulein Junge
publiŽes sous le titre "Bis zur
letzten Stunde" et c'est ˆ elle que revient l'honneur d'ouvrir et de
cl™turer le rŽcit : en voix off au dŽbut, puis Traudl Junge appara”t "pour
de vrai" dans un entretien extrait d'un excellent documentaire de Andre
Hellers consacrŽ ˆ l'ŽvŽnement, "Im
toten Winkel", le spectateur comprend alors que la voix du dŽbut Žtait
celle de la vŽritable narratrice. L'effet de rŽel est trs rŽussiÉ Le film
feint d'adopter le point de vue de Traudl Junge et se prŽsente comme une mise
en images du tŽmoignage dÕune des protagonistes du drame. Le choix de la
narratrice remplit une fonction idŽologique et narrative simple et efficace :
le public peut vivre ces heures tragiques ˆ travers des yeux innocents et le
rŽcit est validŽ par un tŽmoin direct. LÕidentification s'effectue sans aucune
mauvaise conscience. Le rŽalisateur utilise tous les ressorts cinŽmatographique
pour permettre la participation affective des spectateurs et cela Ad Nauseum :
pour gŽnŽrer du suspens lorsqu'elle s'enfuit du bunker (mais pourquoi
porte-t-elle encore ce casque SS qui la dŽsigne ˆ la vindicte des hordes
soviŽtiques ?) ou doit traverser les lignes russes (Elle a enfin ™tŽ son casque
et lÕa remplacŽ par un bonnet pour couvrir ses beaux cheveux, mais surtout
quÕelle ne regarde pas la soldatesque dans les yeux !) et pour terminer par un
happy-end inespŽrŽ qui donne au spectateur, aprs l'horreur de la fin du monde
quÕil vient de vivre, un petit plaisir sur lequel il restera. Oliver
Hirschbiegel n'hŽsite pas ˆ tourner la fin la plus conventionnelle possible: un
enfant blond prend par la main Traudl et l'aide ˆ franchir la ligne (les russes
mme ivres respectent les mres de famille !), trouve une bicyclette et
ensemble ils fuient en vŽlo dans la virginitŽ de la fortÉ
Le
premier concernŽ, le public allemand, pris dans la machine fictionnelle, ne
peut que partager avec Traudl Junge son innocence, sa na•vetŽ. La petite
munichoise arrive dans le rŽcit ds la premire scne pour subir un entretien
d'embauche qui se transforme vite en finale d'un concours de Miss o la
gagnante est embrassŽe par les dauphines raviesÉ Lorsque nous la retrouvons
dans la sŽquence suivante, plus de deux annŽes et demi de guerre se sont
dŽroulŽes et elle n'a pas changŽ, pas une ride, pas le soupon d'une rŽflexion
sur son r™le et les t‰ches qu'elle remplit (les lettres qu'elle tape ont un
contenu terriblement, au sens premier du terme, explicite). Dans Der Untergang, la petite secrŽtaire
d'Hitler possde toutes les vertus pour incarner le peuple: elle subit le
charisme du FŸhrer sans trop savoir pourquoi, elle est abusŽe ˆ son cÏur
dŽfendant, elle ne fait rien de vraiment malÉ Mme ˆ ses propres yeux, ses
motivations ne sont pas claires : elle ne sait pas s'expliquer pourquoi elle a
dŽclarŽ qu'elle resterait aux c™tŽs d'Hitler jusqu'ˆ la fin. Le casting est
parfaitement cohŽrent avec le discours : la na•vetŽ du personnage est soulignŽe
par la jeunesse dans le mŽtier de Alexandra Maria Lara et son jeu limitŽ alors
qu'elle a face ˆ elle deux actrices confirmŽes pour jouer des femmes plus mžres
et plus intŽressantes d'un point de vue dramatique.
A la
fin, le jeune garon, qui aide Traudl ˆ passer la ligne, est Peter le jeune
hitlŽrien dŽcorŽ de la croix de fer. Il est dŽsormais orphelin car les brutes
nazis (elles sont conduites par un gros porc en costume bavarois) ont pendu son
pre et abattu sa mre, ses parents aimants, et il peut donc se choisir une
jolie jeune mre de substitution[25]. Ce sont bien deux innocents qui, en se prenant par
la main, rŽconcilient le monde du Bunker et celui de lÕextŽrieur, qui survivent
et qui vont continuer lÕAllemagne. Ce happy-end est lourd de sens.
En
choisissant de faire jouer les tensions dramatiques ˆ l'intŽrieur du Bunker et
en construisant un extŽrieur presque totalement indiffŽrenciŽ[26], Der Untergang donne
ˆ Traudl Junge principalement et secondairement au jeune hitlŽrien, la fonction
de reprŽsenter le peuple allemand : pas totalement innocent (Mme si elle a ŽtŽ
acquittŽe ˆ Nuremberg, les propos de la vŽritable Traudl Junge sont explicites
en ce sens : Sophie Scholl avait le mme ‰ge qu'elle lorsqu'elle a ŽtŽ
guillotinŽe) mais pas vraiment coupable non plus (sa croix de fer, Peter lÕa
obtenue en combattant lÕennemi dans les rues de Berlin). Comme eux aussi
subissent les peurs et les misres de la guerre ˆ cause de l'acharnement des
nazis et de la brutalitŽ des conflits modernes, ils sont en quelque sorte punis
et lavŽs, par consŽquent, de leurs fautesÉ
On peut trouver la colre de Wim Wenders vraiment salutaire.
Jean-Marie Tixier
Ma”tre de ConfŽrences UniversitŽ Montesquieu Bordeaux
4
PrŽsident du CinŽma Jean Eustache - Pessac
Der Untergang ou La ChuteÉ
d'une Nation
in Stephan Martens (Žd.), La France, lÕAllemagne et la Seconde Guerre mondiale : quelle
mŽmoire ?, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2007, pp.
147-162.
[1] - Sadowa met un terme au projet de
construction dÕune grande Allemagne et il faut attendre l'Anschluss pour que
l'Autriche soit intŽgrŽe au Reich. Par ailleurs, mme les nationalistes
allemands les plus exaltŽs n'ont jamais revendiquŽ la Suisse alŽmanique. Quant
aux vendŽens, la RŽpublique a du leur expliquer avec force la validitŽ du
" vouloir vivre ensemble"
et surtout la conscription qui allait avec.
[2] - Explication qui perdure tant elle est
fonctionnelle: Ç Ce peuple sur
lequel un groupe
de criminels a pris le
pouvoir par le biais de fausses promesses de grandeur future et de retour ˆ
lÕhonneur, lÕimportance et la prospŽritŽ de la nation, mais aussi ˆ travers la
terreur et lÕintimidation, avec pour rŽsultat que notre peuple a ŽtŽ utilisŽ et
abusŽ comme un instrument de leur soif de destruction et de pouvoir. È
Beno”t XVI ˆ Auschwitz le 29 mai 2006.
[3] - Ç En rŽalitŽ, le "peuple", en tant
qu'expression d'une volontŽ unique et de sentiments identiques - force quasi
naturelle qui incarne la morale et l'Histoire -, n'existe pas. Il existe des
citoyens qui ont des idŽes diffŽrentes, et le rŽgime dŽmocratique consiste ˆ
Žtablir que celui qui gouverne est celui qui a obtenu le consentement de la
majoritŽ des citoyens. Non du peuple, mais d'une majoritŽ qui peut parfois tre
obtenue non par le verdict des chiffres mais par les rŽpartitions des voix dans
un systme uninominal. Les citoyens sont reprŽsentŽs, proportionnellement, au
Parlement par ceux qu'ils ont Žlus. En revanche, en appeler au peuple signifie
construire un simulacre : Žtant donnŽ que le peuple en tant que tel n'existe
pas, le populiste est celui qui se crŽe une image virtuelle de la volontŽ
populaire. Mussolini le faisait en rassemblant piazza Venezia cent ou deux cent
mille personnes qui l'acclamaient et qui, recrutŽes en tant qu'acteurs,
jouaient le r™le du peuple. D'autres peuvent crŽer l'image du consensus
populaire en jouant sur les sondages ou simplement en Žvoquant le fantasme d'un
"peuple". En procŽdant ainsi, le populiste identifie ses projets
personnels avec la volontŽ du peuple. Ensuite, s'il y parvient (et souvent il y
parvient), il transforme une large part des citoyens en ce peuple qu'il a
inventŽ. Car les gens sont fascinŽs par une image virtuelle ˆ laquelle ils
finissent par s'identifier.È Umberto Ecco, L'Espresso, Rome 2003, in Courrier International, 04 dŽcembre
2003, n¡683.
[4] - "
a choisi son destin lui-mme et n'a rien mŽritŽ d'autre ".
[5] - Selon la pertinente expression de
lÕhistorien anglais, Alan Bullock : "Hitler fut poussŽ vers le pouvoir par des intrigues dÕescalier de
service."
[6] - Aux dernires Žlections "libres" du 6 novembre 1932, le
NSDAP obtient 33,1% des suffrages et 196 siges au Reichstag (presque 12
millions de voix certes mais cela ne constitue qu'une majoritŽ trs relative
et, par consŽquent, ne suffit pas ˆ "incarner
le Peuple allemand"). En face, le KPD avec 16,9% des voix et 100 Žlus,
le SPD avec 20,4% et 121 Žlus reprŽsentent plus d'Žlecteurs et obtiennent plus
de siges mais ils restent profondŽment divisŽs. Le 30 janvier 1933, Hindenburg nomme Hitler comme chancelier
; aprs lÕincendie du Reichstag le 27 fŽvrier attribuŽ ˆ un militant
communiste, Hindenburg dŽcrte lÕŽtat dÕurgence, "die Reichstagsbrandverordnung",
en sÕappuyant sur lÕarticle 48 de la constitution de Weimar et donne ˆ Hitler
les pouvoirs dont il a besoin. La terreur nazie devient la loi de l'ordre
nouveau et les premires victimes sont allemandes : syndicalistes,
communistes (le KPD est interdit et ses militants dont les dŽputŽs membres du
Reichstag, sont pourchassŽs et emprisonnŽs), socialistes, anarchistes (pote,
publiciste anarchiste et issu dÕune famille de confession juive, Erich MŸhsam
est arrtŽ ds le 28 fŽvrier 1933 et assassinŽ dans la nuit du 9 au 10 juillet
1934 dans le camp de concentration de Orianenburg). Le Reichstag est dissout et
de nouvelles Žlections sont organisŽes, dans ce climat de rŽpression brutale,
le 5 mars. Le NSDAP nÕobtient toujours pas la majoritŽ (43,91% des suffrages et
288 siges sur 647) mais Hermann Gšring est
Žlu PrŽsident du ReichstagÉ Le vote des pleins pouvoirs le 24 mars 1933 permet
ˆ Hitler de se passer du parlement o il nÕaura jamais rŽussi ˆ y
gagner une majoritŽ entirement
dŽvouŽe ˆ sa cause.
[7] - Comment peut-on lire dans les colonnes du Monde (mercredi 5 janvier, p.25), sous
la plume de Jacques Mandelbaum, le
critique cinŽmatographique : "une
Allemagne martyrisŽe, victime presque malgrŽ elle de ce rŽgime fanatique
qu'elle aura pourtant – mais le film ne le dit pas – portŽ
triomphalement au pouvoir et durablement soutenu" ? Cette
mŽconnaissance de lÕhistoire de la part dÕun journaliste en dit long sur la
puissance de lÕidŽologieÉ
[8] - LÕhistoire du
rapport ƒtat-LibertŽ en Europe, par Erwan QuŽinnec (dipl™mŽ de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris,
enseignant-chercheur en sciences de gestion mais pas en histoire
visiblement !) in Le
QuŽbŽcois Libre, MontrŽal, 15 juin 2004, n¡143.
[9] - Sur la 4me de couverture et
page 3 de La rŽsistance
anarcho-syndicaliste allemande au nazisme, collectif, Editions du Monde
Libertaire, avril 2001.
[10] - LÕExpress,
n¡2865 du 1er juin 2006, p.60.
[11] - Une partie de lÕhŽritage que George W. Bush
a reu de son grand-pre, Prescott Bush, provient de lÕexploitation dÕune usine
installŽe ˆ Oswiecim et surexploitant le travail forcŽ des prisonniers
dÕAuschwitz. Lire : Antony C. Sutton, Wall Street and the Rise of Hitler, New York, Arlington House Publishers,
New Rochelle, 1976, Charles Higham, Trading with the Enemy, An Expose of the
Nazi-American Money Plot 1939-1944, New York, Delacorte Press, 1983.
[12] - Dans Die
Sehnsucht der Veronika Voss (1982), la nouvelle Allemagne prŽtend soigner
l'ancienne (l'essentiel du rŽcit se dŽroule dans une clinique psychiatrique),
en l'espce un couple de vieux juifs rescapŽs des camps, les victimes oh
combien emblŽmatiques donc des Nazis, et Veronika Voss, une actrice cŽlbre
ayant collaborŽ avec le rŽgime. En rŽalitŽ, l'Allemagne nouvelle construit sa
richesse en cannibalisant l'ancienne pour mieux s'accaparer ses biensÉ
MŽtaphore terrible de la RFA!
[13] - Dans l'Allemagne nazie gr‰ce ˆ son
engagement politique (ˆ 16 ans en 1931, il adhre ˆ la jeunesse hitlŽrienne et
ˆ 20 ans, Žtudiant en droit, il entre ˆ la SS sous le matricule 227014), Hans
Martin Schleyer a fait une carrire remarquable : il est chargŽ du dŽmembrement
Žconomique de la TchŽcoslovaquie alors qu'il n'a pas encore trente ans. A la
fin de la guerre, aprs trois ans d'emprisonnement sans procs en tant que
haut-fonctionnaire nazi, il reprend sa carrire dans l'industrie automobile,
chez Daimler-Benz qui le conduit en 1973 ˆ la tte du patronat allemand.
[14] - Dans l'histoire de la RŽpublique, l'Etat
franais de Vichy constitue, selon la version officielle, une
"parenthse" refermŽe ˆ la LibŽration. La pŽriode n'a durŽ que 4 ans
et continue pourtant de poser question, de travailler la conscience nationale
tant l'artifice de l'explication appara”t comme trop simplificateurÉ Le
parallle avec l'histoire allemande est heuristique car la France a connu les
deux mythes utilisŽs dans les deux Etats allemands mais dans une succession
temporelle : le tous rŽsistants du GŽnŽral de Gaulle a ŽtŽ remplacŽ par tous
des planquŽs de Giscard d'Estaing, tous des consommateurs prŽoccupŽs par leur
estomac. La mort de Charles de Gaulle avait levŽ les interdits et permis une
rŽvision du passŽ glorieux qu'il incarnait. Dans le cinŽma de fiction, c'est Lacombe Lucien qui a ŽtŽ chargŽ de
commettre le meurtre rituel du "Pre
Tranquille" avec la caution "vŽriste" du film de montage Le Chagrin et la PitiŽ. Plus tard au nom
du "rŽalisme", les hŽros seront stigmatisŽs dans un film inf‰me de
Claude Berri, Uranus (1990). Ce
retournement permet de faire l'impasse sur la question de la rŽsistance et
surtout de dŽlivrer un discours frelatŽ : si les Franais se sont tous conduits
en salauds au fond personne ne l'a vraiment ŽtŽ. La culpabilitŽ se dissout
lorsqu'elle est partagŽe par tous; elle n'existe plus. Dialectique bien
confortable pour les vŽritables coupables qui sont, comme en Allemagne, amnistiŽs
gŽnŽreusement. RemplacŽe par le recours ˆ l'Žternel humain, ˆ une mŽtaphysique
de comptoir, la rŽflexion historique est expulsŽe et barrŽe. Claude Berri n'a
pas manquŽ, du reste, de souligner l'actualitŽ de son film qui dŽmontrait,
selon lui, la permanence des comportements : "Uranus est, avant tout, une parabole. C'est l'‰me
humaine qui est en cause" (TŽlŽrama,
n¡2135, 12 dŽcembre 1990, p. 34). Et pour faire bonne mesure, cette ‰me est
noire conformŽment ˆ la tradition occidentale. Foncirement mauvaise (elle
est responsable de la chute !), la nature humaine justifie et nŽcessite
l'existence de l'Etat, sans qui, l'homme Žtant un loup pour l'homme....
l'antienne est bien connue.
[15] - Lorsque le chiffre de
trois millions de spectateurs a ŽtŽ atteint en Allemagne, le dramaturge Peter
Zadek a laissŽ Žclater sa colre: "Die drei Millionen coolen Deutschen,
die den Film "Der Untergang"
ohne zu protestieren gesehen haben, sind die perfekten Nachkommen der mehr als
drei Millionen Deutschen, die Hitler 1933 gewŠhlt haben" (numŽro de
dŽcembre du magazine Cicero). (Traduction libre: "Les trois millions
d'Allemands cool qui ont vu "Der
Untergang" sans protester, sont les parfaits descendants des plus de
trois millions d'Allemands qui ont votŽ pour Hitler en 1933"). Quant ˆ Wim
Wenders, sa critique est radicale ˆ la mesure de la pertinence de son point de
vue de cinŽaste (Cf. Die Zeit du 21
octobre et LibŽration, du 1er dŽcembre 2004).
[16] - Comme cÕest trop souvent le cas, les autres
victimes, tziganes, politiques, homosexuels, aliŽnŽs, ne sont pas mentionnŽes.
[17] - Il est tellement sŽduisant et comme Magda
le reoit nue sous sa couette, on peut se demander si ces deux lˆ n'ont pas eu
une "affair" comme disent
les AmŽricainsÉ Mais, le rŽalisateur ne s'arrte pas heureusement car nous ne
sommes pas dans un feuilleton tŽlŽ.
[18] - Un nazisme modŽrŽ (sic !) ˆ la Albert Speer aurait-il pu survivre ?
[19] - "Meine
Ehre hei§t Treue" : Mon honneur sÕappelle fidŽlitŽ, fidŽlitŽ au
FŸhrer bien sžr !
[20] - Sans doute, est-ce pour ne pas troubler les
spectateurs du monde entier, que l'on n'entend pas parler franais dans le
film. Pourtant les SS franais de la division Charlemagne ont participŽ ˆ la
dŽfense du BunkerÉ Il importait surtout que l'Žpisode des derniers jours
d'Hitler reste strictement une affaire allemande et, pour se faire, de ne pas
prendre en compte la dimension "guerre
civile" ˆ l'Žchelle europŽenne de la deuxime guerre mondiale trop
compliquŽe ˆ gŽrer dÕun point de vue fictionnelle et idŽologique. En effet, les
historiographies officielles ne peuvent pas prendre en compte les
participations croisŽes des nationaux dans le camp adverse. Elles jettent, par
consŽquent, un voile pudique sur lÕengagement des Allemands dans la rŽsistance
franaise, principalement dans la section Travail
Allemand de la MOI. Pourtant, les rŽsistants qui avaient tenu ˆ placer en
tte du dŽfilŽ de la libŽration ˆ
N”mes, le 4 septembre 1944, Otto KŸhne, lieutenant colonel FFI commandant dÕun
maquis de Lozre et deux de ses compagnons, voulaient signifier que leur combat
dŽpassait le strict cadre national. "De la rŽsistance ˆ la rŽvolution" en quelque sorte !
[21] - Sur la conjuration des gŽnŽraux du 20 juillet
1944, le romancier Friedrich Reck-Malleczewen, (mort le 17 fŽvrier 1945 ˆ
Dachau) a Žcrit un texte dŽfinitif auquel il nÕy a rien ˆ ajouter : "CÕest un peu tard, Messieurs vous qui avez
fait ce destructeur par excellence de lÕAllemagne, vous qui lui avez couru
aprs tant que tout allait bien, vous qui, tous officiers de la Monarchie, avez
prtŽ, sans aucune seconde dÕhŽsitation, tous les serments quÕon demandait de
vous, vous qui tes volontairement devenus les mŽprisables laquais dÕun
criminel responsable de lÕassassinat de centaines de milliers dÕtres humains
et sur qui psent les lamentations et la malŽdiction de la terre entireÉ"
[22] - Hitler : The Last Ten days de Ennio
de Concini (1973).
[23] - Dans The
Bunker de George Schaefer (1981), lÕinterprŽtation dÕAnthony Hopkins avait
dŽjˆ ŽtŽ saluŽe comme la meilleure. En 1982, un tŽlŽ film amŽricain, Inside the Third Reich rŽalisŽ par
Marvin J. Chomsky, dispose dÕune distribution prestigieuse. Dans ce film centrŽ
autour dÕAlbert Speer interprŽtŽ par Rutger Hauer et John Gielgud aux deux ‰ges
de sa vie, Hitler nÕa pas le premier r™le ; il est pourtant interprŽtŽ par
Derek Jacobi qui, sans tre trs connu du grand public, est un immense acteur
qui a eu lÕinsigne honneur dÕtre anobli par la Reine en 1994. Enfin en 2002, Max rŽalisŽ par Menno Meyjes choisit de
reprŽsenter un Hitler encore jeune (Noah Taylor) dans lÕimmŽdiat aprs-guerre.
[24] - Le film de G.W. Pabst, Der letzte Act (1955 avec Albin Skoda dans le r™le dÕHitler), qui
reprend exactement la mme pŽriode et celui de Hans JŸrgen Syberberg, Hitler - ein Film aus Deutschland (1977) sont sžrement les plus marquants. Mais le
cercle des spectateurs ayant conservŽ un souvenir prŽcis de ces films ou les
ayant mme simplement vus (le film de Pabst n'a pas ŽtŽ distribuŽ en RDA et n'a
pas attirŽ grand monde en RFA. Quant ˆ celui de Syberberg sa facture trs
"recherche" ne pouvait toucher qu'un public restreint) est encore
plus Žtroit que pour les films anglo-saxons.
[25] - Ou une grande sÏurÉ Du point de vue idŽologique,
on peut lire Allemagne annŽe zŽro
comme la suite fictionnelle de Der
Untergang.
[26] - Edelwei§
Piraten (Niko BrŸcher, 2004) choisit au contraire de reprŽsenter la
rŽsistance dÕun groupe de jeunes allemands dans les ruines de Cologne. HŽlas,
le film nÕest toujours pas sorti en FranceÉ